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Hier dernier, Patrick Goujon, Gallimard, 2008

Le dernier roman de Patrick Goujon, publié en 2008, est un récit bref mais très dense, même si, au fond, il a le goût de l’ordinaire. À le lire, je me rends compte à quel point les vies les plus inaperçues sont remplies d’une fureur de vivre, jusqu’à en mourir. L’histoire est ténue, elle se loge dans le creux d’un déménagement, le vide saturé des fantômes, des souvenirs, des vies qu’on a laissées en plan, des vies dont on n’a jamais accepté la perte.

Tom, le narrateur, est peuplé de la nostalgie amère de ceux qui n’ont rien de plus précieux que ce qui s’est brisé dans leur existence, l’amour. On pense à la compagne échappée, au grand-père rongé par une longue vie dont la souffrance est tue avec pudeur, au copain qui s’est fracassé en scooter. Les images du passé enlacent celles du présent, comme si, jeune encore, marqué par les émotions explosives de l’adolescence, le narrateur n’avait plus assez de lumière pour y voir d’un regard neuf. Le récit s’effile pour laisser la place à une description abondante, parataxique. L’accumulation des choses vues et perçues, sans coordonnant ni virgule, est une boulimie de mots qui s’entrechoquent. Dire à en toucher, amonceler les mots pour donner chair à ce réel qui échappe et isole. Et pourtant l’essentiel du récit est par ailleurs constitué de dialogues, écrits en italique, sans les marques habituelles du discours direct. Tout le texte est traversé par cette oralité, la parole relâchée des banlieusards. Mais pas de parodie du parler des cités, le texte n’a vraiment rien d’un ramassis de clichés. Au contraire, les échanges à fleur de peau mélangent avec justesse la banalité du quotidien avec une tension écorchée vive.

L’histoire est d’une ironie poignante : tout commence avec une gazinière que Tom récupère pour remplacer son vieux four, et tout finit avec la gazinière, la même, qu’il vient d’installer chez lui avec Flex. Ça fait mal, mais, que dire de plus, c’est si juste. Un livre à lire.